La sensibilité animale, une limite au droit de la propriété reconnue par les juges
Tribunal Judiciaire de GRENOBLE, 4eme Ch. Civ., Jugement du 13 juin 2024, n° 24/00353
Maître Marine Lochon a obtenu une victoire significative concernant la sensibilité animale, en lien avec le droit de propriété, droit reconnu comme inaliénable et sacré.
Analyse juridique de l’affaire et évolution de la jurisprudence
Le contexte juridique de l’affaire
Les points clés du jugement
Ainsi, le juge a établi les conclusions suivantes :
- Il est possible de limiter le droit de propriété contractuellement.
- Le droit de propriété « n’est pas absolu et peut supporter certaines restrictions dès lors qu’elles poursuivent un but légitime », et ce malgré sa « protection » au sein de la Constitution.
- Les animaux relèvent d’un régime particulier en raison de leur sensibilité, reconnue par le Code civil.
- Ce statut particulier justifie ainsi des restrictions aux droits du propriétaire d’user et de disposer librement de son bien.
Innovation de la jurisprudence
Ce jugement introduit une innovation importante dans la jurisprudence française. Ainsi, le Tribunal reconnaît que :
- Le contrat d’adoption d’un animal de compagnie n’est pas un contrat de don, sans aucune contrepartie.
- Ce n’est pas non plus un contrat de vente, permettant à l’acheteur de disposer librement de son achat
- Le contrat d’adoption d’un animal de compagnie est un contrat « sui generis », c’est-à-dire un contrat innomé.
Ce contrat emporte un transfert de propriété de l’animal au profit de l’adoptant, et met à la charge de ce dernier le respect de certaines obligations dont la violation est susceptible d’emporter la restitution de l’animal.
Sensibilité animale : l’affaire en détail
La genèse de l’affaire
Lili était un petit chiot né en Roumanie. Elle a été recueillie par une association appelée « Association A » alors qu’elle vivait sur un terrain occupé par des personnes nomades et précaires, ne pouvant pas payer la stérilisation de la mère des chiots :
- Les animaux étaient dans une situation critique.
- Après avoir discuté avec les habitants du terrain, l’association A a pris en charge les chiots et fait stériliser la mère, qui est ensuite retournée avec ses propriétaires.
- Lili et un de ses frères sont les seuls survivants malgré les soins des vétérinaires.
- Ils ont ensuite été pris en charge par une seconde association, appelée « Association B ».
Ces deux associations œuvrent contre la maltraitance animale et pour l’aide aux animaux en détresse. Lili a reçu des soins vétérinaires et, arrivée en France, a été placée en famille d’accueil pour se sociabiliser avant l’adoption.
Tout s’est très bien passé pour elle dans sa famille d’accueil, et en août 2021, elle a été adoptée par Madame C., choisie pour ses compétences avec les animaux, y compris ceux ayant un passé difficile.
L’adoption et les événements qui ont suivi
Madame C. a respecté les conditions initiales, en versant notamment une caution de 500 euros, puis a adopté Lili :
- Pendant les mois suivant l’adoption, elle répétait que Lili s’intégrait bien, la qualifiant de « petit ange ».
- Pourtant, quelques semaines plus tard, elle publiait une annonce sur Facebook pour donner Lili.
- La cliente l’a appelée pour lui rappeler que l’adoptant ne peut donner l’animal sans l’accord préalable de l’association.
- Elle a alors appris que Lili avait été euthanasiée.
En interrogeant le vétérinaire, aucune réponse justifiant cet acte n’a été donnée.
Lors de la procédure, la défense a mentionné que la chienne avait soudainement adopté un comportement agressif.
Pour soutenir cette allégation, seules des attestations de témoins ont été fournies, sans détails précis, à l’exception d’une attestation vétérinaire rédigée plusieurs années après la mort de Lili. Ainsi, certains témoignages parlent d’une morsure, d’autres évoquent plusieurs morsures, d’autres encore mentionnent que l’animal aurait seulement montré les dents.
Les arguments de la défense
La défense a plaidé les éléments suivants :
- Le contrat d’adoption serait contraire au droit de propriété, qui est inaliénable et sacré.
- Elle a qualifié les deux associations de colonialistes.
- Elle regrette que les associations aient pris en charge les chiens sans se préoccuper du sort des enfants en Roumanie, laissant penser que, pour elles, les chiens sont plus importants que les humains.
- L’assignation en justice est « moralement injuste » car Madame C. « n’a rien fait de mal ».
- Elle aurait pris plusieurs mesures pour éviter la décision d’euthanasie (tout en restant floue sur les détails de ces mesures).
- En l’absence d’euthanasie d’un animal jugé dangereux, l’adoptante aurait pu engager sa responsabilité pénale en cas de morsure grave.
Ainsi, Madame C. estime avoir subi un préjudice qu’elle évalue à 6000 euros.
Les arguments de votre avocate en droit des animaux
Dans sa plaidoirie, Maître Marine Lochon est revenue sur plusieurs points essentiels :
- Le caractère sensible de l’animal et la consécration d’un « droit à la vie » par le Conseil d’État en 2020.
- Une corrélation établie entre le droit humain à la vie et celui de l’animal reconnu par le Conseil d’État, en précisant que ces deux droits doivent être considérés de la même manière, comme des droits fondamentaux.
- Le droit de propriété étant un droit fondamental, ainsi que le droit à la vie : lequel doit primer sur l’autre ?
En outre, votre avocate en droit des animaux a démontré que, dans tous les cas, Madame C. avait signé ce contrat d’adoption et devait donc en respecter les termes.
Enfin, elle a rappelé que la jurisprudence a qualifié le contrat d’adoption comme un contrat de donation avec charges, où les clauses du contrat imposent des obligations à l’adoptant, notamment :
- Ne pas faire adopter l’animal sans l’accord de l’association.
- Ne pas euthanasier l’animal sans l’accord préalable de l’association.
Ainsi, Madame C. engageait sa responsabilité contractuelle, d’autant plus qu’elle n’a fourni aucun élément objectif justifiant l’euthanasie (avis de comportementaliste, prescriptions médicales, bilans vétérinaires).
Avant de chiffrer les préjudices subis par la cliente, Maître Marine Lochon a rappelé qu’elle aurait pu engager la responsabilité du vétérinaire, tenu à des soins consciencieux et au respect de la dignité de sa profession. Or, aucun diagnostic n’a été établi avant l’euthanasie, ce qui constitue un manquement grave.
La décision du Tribunal
Le Tribunal a jugé que le contrat d’adoption d’un animal est un « contrat sui generis », c’est-à-dire un contrat particulier, qui transfère la propriété de l’animal à l’adoptant tout en imposant certaines obligations. La violation de ces obligations peut entraîner la restitution de l’animal.
Le Tribunal a également reconnu que le droit de propriété peut être contractuellement limité, bien qu’il soit protégé par la Constitution. Ce droit n’est pas absolu et peut subir des restrictions si celles-ci poursuivent un but légitime.
Ainsi, les animaux, en raison de leur sensibilité reconnue par le Code civil, bénéficient d’un statut particulier justifiant des restrictions aux droits du propriétaire sur son bien.
La réparation des préjudices
Maître Marine Lochon, votre avocate en droit des animaux, a rappelé les jurisprudences permettant à une association de défense des animaux d’agir en justice et de solliciter la réparation des préjudices moraux. Elle a précisé que cela était possible aussi bien dans un procès pénal que dans un procès civil, sans qu’il soit nécessaire qu’une infraction pénale ait été commise.
Elle a également souligné plusieurs exemples pour illustrer ses propos :
- L’obtention de la somme de 3500 euros au profit d’une association de défense de l’environnement, après la découverte de plusieurs cadavres de faucon crécerellette au pied d’un parc éolien.
- Une décision accordant la somme de 500 euros à des adoptants dont le chiot, qu’ils avaient depuis 7 jours, était décédé.
En conséquence, Maître Marine Lochon a sollicité la somme de 4000 euros au profit de sa cliente. Concernant le préjudice matériel, elle a rappelé l’ensemble des sommes engagées par l’association pour sauver cette chienne, qui auraient été évitées si la cliente avait connu le sort réservé à l’animal.